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cieuses devant moi, je leur tendais mes bras énervés de n’étreindre que le vide, et si, à ce moment, à défaut d’Antonia, la petite saltimbanque ou même Zéphira se fussent offertes à mes désirs, je ne sais ce que serait devenue la fidélité de mon amour. Une secousse des vagues m’arracha au vertige de ce rêve. Je tirai brusquement les stores de la gondole ; le grand jour et le vent de la mer y pénétrèrent à la fois. Nous étions arrivés au rivage méridional du Lido ; l’étendue des vagues bleues de l’Adriatique se déroulait devant moi. J’aspirais de toute la force de mes poumons l’air vivifiant qui soufflait du large. Je descendis à terre ; voulant faire seul le tour de ces rives sablonneuses, j’ordonnai à mes deux gondoliers d’aller m’attendre vers le bord opposé.

Je marchais à l’aventure ; j’enfonçais parfois jusqu’à la cheville, et je songeais à Byron essayant de diriger un cheval fougueux sur ce sol mouvant ; je revoyais le grand poëte anglais avec son front inspiré couronné de cheveux soyeux et bouclés ; ses yeux où son génie éclatait, sa bouche sérieuse et charmante comme celle d’une belle jeune fille qui aime et qui rêve ; son cou sculptural qu’une cravate large laissait presque toujours à nu. Cette tête superbe empreinte de la beauté idéale et que j’avais revue vivante dans l’admirable buste de Thorwaldsen[1], semblait me suivre du regard durant ma pro-

  1. Une femme qui a été à Byron ce que Béatrix fut à Dante et Vittoria Colonna à Michel-Ange, c’est-à-dire l’inspiration et l’amour, nous écrivait, il y a trois ans, pendant que nous étions à Londres : « Cherchez à Sydenham le buste que Thorwaldsen a fait du plus beau