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récit circonstancié et véridique de l’emploi de ma journée et de ma nuit.

— Si vous aviez consenti à m’accompagner, poursuivis-je, vous n’auriez pas tout à fait perdu votre temps, en voyant et en entendant la belle prima donna. Elle aurait pu vous fournir, pour un de vos romans, un type de femme artiste, simple, grande et aimante. Cette figure serait très-sympathique, je vous assure, pourvu que vous n’eussiez pas la prétention de l’embellir en ajoutant à ses qualités naturelles des aspirations humanitaires ! Je prononçai ces deux mots en ouvrant démesurément la bouche, ce qui produisit un bâillement involontaire.

— Allez donc dormir, s’écria Antonia dépitée.

— Je n’ai plus que deux phrases à vous dire, repris-je, puis j’irai faire un long somme. Ma nuit passée chez le consul, en compagnie de nobles Vénitiens, m’a plus éclairé sur Venise et son histoire que bien des lectures solitaires. La vieille comparaison est toujours vraie, ma chère, le poëte est comme l’abeille, il butine sans effort et en se jouant les sucs dont il compose son miel. J’ai donc enrichi mon esprit, comme vous auriez pu enrichir le vôtre durant ces heures en apparence si oisives ; et pour dernier argument en faveur de la manière raisonnable dont je mène la vie, voici cent louis qu’un bienfaisant hasard m’a fait gagner cette nuit très-prestement et très à propos à un opulent Vénitien ; prenez-en la moitié pour remplir votre bourse, que vous me reprochez si souvent de laisser vide, — et