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J’eus honte de ma faiblesse, et faisant un effort énergique pour ressaisir le bonheur que je sentais m’échapper, je résolus de briser à l’heure même la glace du cœur d’Antonia, et de me jeter avec passion dans ses bras.

— Après tout, me dis-je, je porte en moi ma destinée ; sachons aimer vaillamment ! Je la convaincrai et l’enchaînerai à moi. Pourquoi cette terreur d’un malheur que je puis conjurer à force d’amour ? Me quitter ! m’oublier ! le pourrait-elle ? En qui donc retrouverait-elle jamais ce qu’elle perdrait en me perdant ! Cet orgueil de l’amour prouve son excès même, et il renferme en soi la vérité ; car bien peu d’êtres ici-bas brûlent de cette flamme qui consume la vie. Elle est aussi rare que celle du génie.

Je rentrai sans bruit et me glissai sans lumière jusqu’à la porte de la chambre d’Antonia, qui donnait sur le couloir, et près de laquelle reposait la tête de son lit. Cette porte était fermée ; j’y collai mon oreille ; j’entendis qu’elle dormait, et je n’osai l’éveiller. Je me rendis à la cuisine où la femme qui nous servait m’attendait en ronflant, la tête renversée sur une table ; elle se souleva à ma voix.

— Madame est-elle malade ? lui demandai-je.

— Non, monsieur, mais elle est bien fatiguée ; madame a écrit tout le jour. À minuit, elle s’est mise au lit n’en pouvant plus ; il serait charitable à monsieur de la laisser dormir.

Je ne répondis rien à cette femme, mais par le