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qu’ils finirent par exercer sur moi une espèce de fascination. Quoique la pauvre fille fût assez laide, son teint cuivré, ses dents blanches et son admirable regard profond et doux en faisaient un être qui n’avait rien de vulgaire.

Je la considérais en me préoccupant de sa destinée, et ce mystérieux attrait aurait pu me retenir jusqu’à la nuit, si une de mes connaissances de la veille n’avait traversé la place. C’était le beau Vénitien amant de la prima donna.

Il me demanda si je voulais monter dans sa gondole et le suivre chez sa maîtresse ? Je lui répondis que mon dessein était justement d’y aller, mais qu’avant je comptais faire visite au consul français.

— Eh bien, répliqua-t-il, passons ensemble chez Sa Seigneurie, puis nous nous rendrons chez la diva. Je le suivis, et quand nous fûmes à demi-couchés sur les coussins de la gondole, je le complimentai sur la beauté de sa maîtresse.

— Stella est aussi bonne que belle, me répondit-il simplement, je l’ai aimée en l’entendant chanter et elle en me regardant. Elle m’a dit plus tard, dans son langage imagé, que cela devait être, puisque nous portions notre âme sur notre visage. Elle m’a préféré, quoique je sois presque sans fortune, à des princes qui lui offraient des millions. « Tout ce qui est enviable ne s’achète pas, me dit-elle souvent ; l’amour, le génie, la beauté sont des dons divins que les plus riches ne peuvent acquérir. »