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un peu brusquement cette attrayante compagnie. La danseuse me cria : A rivederia. Le consul me fit promettre de l’accompagner bientôt chez la cantatrice, qui voulait mettre en musique une de mes chansons.

Je sortis du théâtre tout ahuri et me demandant pourquoi j’étais seul, pourquoi Antonia n’était pas là à me sourire, à m’aimer et à m’ôter toute envie et toute possibilité même de regarder une autre femme ? car où elle était je ne voyais qu’elle. Je me jetai triste dans une gondole et me fis conduire au large pendant deux heures. Quand je rentrai il était plus de minuit, Antonia veillait encore, le rayon de sa lampe passait à travers la fente de la porte qui séparait sa chambre de la mienne, et qu’elle avait fermée à clef. Je fis du bruit en heurtant plusieurs meubles, pensant qu’elle me parlerait. Elle ne dit mot. Exaspéré, je me décidai à l’appeler.

— Que me veux-tu ? répondit-elle d’une voix douce.

— Pourquoi cette porte fermée ? ouvre-moi !

— Non, non, fit-elle en riant, tu me dérangerais et je veux travailler encore trois heures.

Voyant l’inutilité de ma prière, je me mis au lit espérant dormir, mais je fus pris d’une agitation fébrile qui chassait le sommeil et ne me laissait que des rêves. Le petit filet de lumière qui perçait à travers la porte venait vers moi direct et aigu ; tantôt il me semblait que c’était un sourire ironique qui me narguait, et tantôt une lame fine qui tailladait çà et là ma chair. Ce rayon malfaisant piquait mes yeux qu’il empêchait de se fermer et brûlait mon front comme un bandeau de feu.