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— Il serait pourtant bien bon, lui dis-je, d’être couché dans une de ces gondoles et de gagner la grande lagune. Nous reviendrons vite si tu veux, mais, je t’en supplie, sortons quelques instants.

— Ne me trouble pas, répondit-elle, la fumée du tabac et le mouvement de ces barques qui passent reposent ma pensée et tantôt, comme un bon cheval qui a mangé l’avoine, elle galopera sur le papier.

Ceci dit, ses grands yeux, se perdirent dans l’espace et elle parut oublier que j’étais là.

N’en pouvant tirer ni une parole ni un regard, je pris mon chapeau et je sortis. Je me dirigeai machinalement au théâtre de la Fénice, j’entrai et me tins debout près d’une colonne ; le consul qui nous avait fait visite le matin, m’ayant aperçu, vint me chercher et m’emmena dans sa loge ; j’y trouvai deux jeunes Vénitiens, l’un fort riche, l’autre très-beau, qui avaient pour maîtresses, le premier la danseuse en vogue, le second la prima donna applaudie. Ils me proposèrent de m’introduire dans les coulisses, et de faire visite à ces dames ; je les suivis, le consul nous accompagna, disant qu’il veillerait sur moi, dont il répondait auprès d’Antonia.

Je le priai tout bas de se taire et de ne pas jeter ainsi le nom de celle que j’aimais : rien qu’en l’entendant, ce nom si cher, j’avais senti comme un remords et je fus prêt à quitter ces messieurs. Une fausse honte m’en empêcha, puis un peu de curiosité m’attirait. Nous trouvâmes le premier sujet du ballet et le premier sujet du