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prescrite par moi-même ou par autrui. Je ne trouvai pas une seule phrase et, irrité de mon impuissance, du parti pris d’Antonia, je sortis pour aller flâner sur la place Saint-Marc. Je m’assis devant un café, fumant, prenant des sorbets et buvant du curaçao. Je goûtai là deux heures délectables à regarder les mouvants tableaux des passants et des groupes. C’était un spectacle nouveau et varié qui réjouissait mes yeux accoutumés à l’uniformité et à la monotonie de la population parisienne, dont le costume n’a rien de pittoresque et dont le type est dépourvu, avouons-le, de cette beauté et de cette force des races du Midi ; sur la place Saint-Marc, toutes ces races privilégiées du soleil semblaient avoir leurs représentants. À côté des beaux Italiens indigènes, c’étaient des Levantins aux longs yeux veloutés et aux pantalons larges ; puis des Illyriens à l’allure barbare et libre ; des Maltais à l’air narquois ; des Portugais présomptueux, et se drapant dans leur dénûment comme au temps où ils possédaient un monde ; des Espagnols mélancoliques, mais dont les yeux pénétrants et fiers projetaient la vie sur leur morne visage. Tous ces hommes passaient et repassaient, les uns vêtus avec luxe, fumant des pipes à tuyaux d’ambre et se promenant sans rien faire, d’autres habillés d’oripeaux ; des Turcs et des Arabes étalaient en plein vent de petites boutiques où scintillaient des verroteries, où brûlaient des pastilles du sérail et où se groupaient des pyramides de dattes et de pistaches. Le plus grand nombre était des hommes