Page:Colet - Lui, 1880.djvu/183

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 162 —

je me croyais disposé à les écrire. La conception rapide d’un sujet nous fait illusion sur l’inspiration soutenue nécessaire pour le mettre à jour. Quel abîme pourtant entre la première pensée d’un livre et son éclosion !

Je répondis à Antonia que je brûlais comme elle du désir de travailler, et qu’il ne nous restait plus qu’à choisir le lieu où nous irions nous établir.

Venise nous parut une ville de recueillement et de silence faite exprès pour l’écrivain et le poëte, leur offrant l’inspiration des grands souvenirs et le délassement vivifiant des promenades sur mer. Byron y avait écrit ses plus beaux poëmes ; il me semblait qu’au bord des lagunes le souffle de l’immortel poëte passerait en moi.

Nous louâmes, dans un vieux palais près du Grand Canal, trois chambres dont la plus grande, qui nous servait de salon et de cabinet de travail, donnait sur les lagunes, tandis que les autres où nous couchions et qui communiquaient ensemble, avaient jour sur un de ces étroits impasses assez malpropres si communs à Venise. Antonia, qui savait être à volonté une excellente ménagère, fit disposer confortablement notre logis un peu délabré ; on posa des tapis, on mit aux portes et aux fenêtres d’épais rideaux, et on parvint à empêcher les larges cheminées de fumer. Tandis qu’on préparait notre nid où nous avions projeté de passer l’hiver nous parcourions Venise : le quai des Esclavons, la Piazzetta, Saint-Marc, le palais ducal, la prison des Plombs, tous les monuments mille fois décrits ; nous faisions chaque matin, des