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dresse ont des expansions sublimes. Qu’importe à cet immense amour ton amour borné et exclusif ? Concentre sur elle l’ardent foyer de ton cœur, mais laisse-la répandre sur tous son rayonnement bienfaisant. »

Ainsi parlait ma conscience ou plutôt ma prévention pour elle, et cette justice théorique m’était facile. Mais à chaque minute, dans la vie pratique, mon raisonnement était détruit par ma sensation ; presque jamais nous n’exprimions elle et moi, par la même parole, une pensée qui aurait dû être identique.

J’ai dit nos émotions diverses dans les choses de l’art ; elles différaient encore plus dans nos actions de chaque jour.

Lorsque nous rencontrions un pauvre, notre premier mouvement à tous deux était de porter la main à notre poche, et de lui faire l’aumône ; parfois, suivant l’aspect et le degré de la misère, il m’arrivait de sentir mes yeux se mouiller ; je n’étais donc pas dur et sans entrailles ; mais Antonia, elle, répandait son émotion en explosion dogmatique qui se traduisait par la censure de la richesse et la nécessité absolue d’en finir avec l’inégalité humaine. Je l’écoutais d’abord avec intérêt, puis avec distraction, et enfin avec une lassitude qu’elle devinait et qui la blessait. Elle me traitait d’esprit puéril, et gâtait, par une querelle, les impressions nouvelles qui auraient pu succéder à l’impression produite par la rencontre de ce pauvre.

Tout ce qu’il y avait de vif et d’inspiré en moi criait alors et se révoltait sous la pression de cette pesanteur