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cette insomnie de la fièvre je repassais à travers la forêt, je revoyais la cabane du bûcheron où elle n’avait pas voulu s’arrêter, et je me disais : « Cette nuit aurait pu être si belle et si douce pourtant ! »

Et dire que lorsqu’elle a parlé de cette nuit à ses amis elle a prétendu que j’avais été fou pendant plusieurs heures ; fou à la faire trembler pour sa vie ! pauvres âmes de poëtes avides de l’infini dans l’amour, vous ne serez donc jamais comprises ?

Après huit heures de sommeil, Antonia s’éveilla. Elle fut épouvantée de ma pâleur et de la contraction de mes traits. Me voyant assis au bord du lit, elle s’écria :

— Tu n’as donc pas dormi ?

— Non, lui dis-je, je t’ai regardée ; tu étais bien belle et bien calme, cela m’a reposé de te voir ainsi.

— Mais tu as la fièvre, reprit-elle, en serrant mes mains brûlantes dans les siennes, il faut rester couché ; je vais te guérir. Quelle inerte égoïste je suis d’avoir pu dormir tandis que tu souffrais !

Elle se leva à la hâte, m’enveloppa de couvertures chaudes, me fit de la tisane et me prodigua mille soins, avec sa tendresse tranquille et silencieuse. Elle fut pour moi, ce qu’elle était naturellement pour tous, une excellente femme d’un dévouement et d’une bonté inépuisables ; mais la sensibilité ardente, cette inspiration spéciale et exquise qui devine les blessures cachées ; la sensibilité qui est au cœur ce que le génie est à l’esprit, je doute qu’elle l’ait jamais comprise.

Je finis par m’endormir sous le magnétisme de son