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nous filons et tissons notre trame quand il nous plaît, nous travaillons sous l’œil de Dieu et non attelés à quelque mécanique humaine ! Regarde donc ce grand frêne dont les branches touchent le ciel : est-ce qu’il a poussé régulièrement taillé et dirigé par la main des hommes ? Non ; il s’est répandu de lui-même et a monté librement dans l’espace. Sa sublime végétation n’a eu pour auxiliaire que les étoiles et le soleil ! Soyons libres comme cet arbre, sentons et aimons ; nos œuvres un jour en seront plus belles.

Elle semblait ne pas m’entendre et marchait toujours en m’entraînant en avant.

Cependant de grosses gouttes de pluie tombaient avec un bruit de grêle sur l’épaisseur des feuilles. Quelques coups de tonnerre lointain se faisaient entendre, l’orage menaçait d’éclater et de nous inonder.

— Allons donc plus vite, me répétait Antonia comme une sentinelle avancée qui donne un mot d’ordre.

— Le jour se levait, un jour blafard et gris, quand nous atteignîmes la maison du garde-chasse. Quel retour, mon Dieu ! Nous avions nos chaussures déchirées, nos pieds et nos mains en sang, nos habits tachés de boue et ruisselants d’eau. On eût dit d’un convoi de soldats blessés qui le matin seraient partis pleins d’entrain pour combattre et triompher !

On nous fit un grand feu flambant, Antonia harassée de fatigue se mit au lit et s’endormit d’un long somme.

Moi je la regardais dormir en frissonnant : mes dents claquaient et mon cerveau était en flammes. Durant