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— J’ai aimé du moins, repartis-je, et vous, dont je ne suis pas le premier amant, qu’avez-vous donc ressenti, puisque la passion vous épouvante ? Quel était l’instinct de tourmenteur qui vous poussait dans vos curiosités malsaines ?

Tandis que je pariais, elle s’était mise à marcher d’un pas rapide, et cherchait à découvrir à travers la forêt la route que nous avions prise en venant ; je la suivais machinalement ; ma force était brisée, mon cœur n’avait plus de ressort.

Quand je fus auprès d’elle :

— Chère Antonia, lui dis-je, en la forçant de s’appuyer sur mon bras, cessons cette vaine querelle ; nous sommes partis ce matin si joyeux et si épris ! Suffit-il donc de quelques heures pour changer le bonheur en amertume, nos ravissements en récriminations et nos caresses en injures ? Non, non, ce n’est pas nous qui avons parlé, c’est quelque esprit malfaisant de la forêt dont nous avons troublé la solitude ; arrête-toi, tu n’en peux plus ; vois comme nous serons bien là sous ces grands arbres qui forment un arceau sombre, je vais réunir des mousses et des feuilles pour t’en faire un lit.

Je voulus l’embrasser et l’entraîner à la place que je lui désignais ; elle me résista et me dit avec une fermeté douce :

— Je ne veux pas dormir ici, j’y aurais peur !

— Peur de quoi ? m’écriai-je, peur de moi qui mourrais mille fois pour te défendre et te garder ! Oh ! c’est qu’alors tu ne m’aimes plus !