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xi
préface

poisonnés. Nos ministres n’ont pas le temps, comme faisait M. de Cavour, de lire des romans ; ils avaient cru les folliculaires sur parole ; j’étais une Euménide dangereuse qu’il fallait châtier au plus tôt. Une lettre m’annonçait que le directeur d’un grand journal refusait de publier un de mes romans qu’il avait accepté, à cause des rumeurs malséantes qu’avait soulevées le dernier.

Ainsi j’étais frappée de tous côtés. Mais, par un de ces hasards providentiels qui sont un adoucissement aux blessures du poëte, je recevais ces coups réitérés en face des chefs-d’œuvre de l’art et en communion, pour ainsi dire, de toutes ces figures immortelles, filiation du génie ; elles me regardaient pensives : les unes compatissantes, les autres altières, toutes sereines et inaltérables ; elles me pénétraient de leur calme et de leur dignité. Au dehors, Venise esclave, Venise en deuil portait fièrement ses chaînes dans l’attente de sa délivrance ; flottante sur la lagune, immobile, elle souriait mélanco-