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souvent une bonté qui m’attendrissait ; mais il y avait entre nous d’autres discordances qui choquaient toutes mes susceptibilités de gentilhomme et de poëte ; elles me disaient tout à coup de ces vulgarités qui, tantôt me faisaient éclater de rire, et tantôt m’impatientaient violemment. Leur esprit était un tel abîme d’ignorance, qu’à part quelques naïvetés de tendresse je n’y trouvais rien qui valût la peine d’être recueilli ; leur pensée ne répondait jamais à la mienne, excepté dans les moments où les sens nous rapprochaient ; les femmes du monde n’en savent guère plus, mais elles y suppléent par un jargon qui fait illusion, et elles cachent ce qui leur manque sous des dehors exquis.

C’est vers ce temps que je me liai avec Albert Nattier, fort recherché dans le monde des plaisirs, à cause de sa grande fortune et de son esprit aimable ; il n’était ni littérateur, ni artiste, mais il aimait les choses de l’esprit et de l’art. La publication de mes premiers livres l’attira vers moi ; il me témoigna une amitié très-vive que rien n’altéra et qui dure encore. Albert Nattier m’aima comme le luxe de son esprit. J’étais aussi nécessaire à ce qu’il y avait d’intellectuel et d’idéal en lui que ses maîtresses et ses chevaux l’étaient à ses habitudes de dissipation ; il m’aimait cordialement et simplement ; pourquoi donc aurais-je repoussé sa sympathie ? On m’a reproché d’avoir préféré son amitié à celle des poëtes contemporains. Ce qui m’a toujours tenu un peu à distance de ces hommes de génie, ce n’est certes pas l’envie, et je l’ai prouvé en les louant dans mes ou-