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En disant ces mots, il s’assit sur un coussin à mes pieds, et, appuyant son menton sur la paume de sa main il allait poursuivre. Je me levai, et me plaçant en face de lui, je fis un grand effort sur moi-même pour lui dire :

— Mais si j’en aime un autre ? si…

— Bah ! interrompit-il, c’est impossible ! cet autre, je l’aurais rencontré chez vous et je sais que vous vivez comme une sainte ! Qu’est-ce que ce serait d’ailleurs que cet amant fantastique qu’on ne voit jamais, qui vous laisse seule dans l’abandon, qui vous livre à toutes les tentations de l’isolement et ouvre un champ libre aux désirs de vos amis ? Je ne redoute point un spectre ! vous êtes une femme romanesque et vous voudriez, dans votre orgueil, que ce lui idéal que cet être imaginaire vous suffît. Mais, hier soir, sur mon cœur, n’avez-vous pas vu que c’était chimérique ! Eh bien ! je suis là, moi, la réalité et non le rêve. Pourquoi me repoussez-vous ? Vous avez trop d’esprit pour persister dans cette lutte ! Oh ! chère, chère, confions-nous à la nature et ne subtilisons plus.

Je me rassis, attendrie par sa persistance aveugle ; mais je me sentais si glacée en face de lui, que je compris bien qu’il ne m’avait point convaincue.

— Je vous écoute, lui dis-je, parlez-moi de l’amour de votre jeunesse dont le monde a tant parlé.

— Le monde, reprit-il, ne voit jamais que l’apparence des choses : J’avais vingt-cinq ans, et déjà quelques rapides et heureux succès littéraires avaient