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La journée du lendemain est une de celles de ma vie dont le souvenir m’est resté le plus vif et le plus présent ; je n’en ai oublié aucun détail.

Vers midi je m’étais mise courageusement au travail afin de chasser par cette discipline salutaire tout retour de pensées molles et d’égarement malsain ; Marguerite qui savait l’utilité et le résultat de mes traductions de romans, avait emmené mon fils à la promenade pour m’assurer quelques heures de tranquillité ; j’espérais qu’Albert, un peu blessé de la façon dont nous nous étions séparés la veille, ne viendrait pas ou viendrait tard. Il arriva vers deux heures ; j’étais à peine vêtue d’un peignoir blanc ; mes cheveux relevés et massés en désordre retombaient çà et là sur mon front et sur mon cou en boucles inégales. À ce négligé et aux feuilles fraîchement écrites éparses sur ma table, Albert comprit que je ne l’attendais pas et que je travaillais ; je ne l’avais jamais vu si pâle et si défait, ses traits décomposés m’effrayèrent.

— Comme vous êtes calme, me dit-il avec un sourire sardonique, et belle et fraîche ! on voit que vous avez dormi du sommeil de la vertu et de l’indifférence. Moi j’ai passé une nuit de forcené, je ne me croyais plus tant de jeunesse et de désir dans le cœur ; j’ai été