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crâne recouvert de cheveux noirs, vous m’aimeriez ? je ne suis pour vous qu’un spectre qui rêve la vie ! Oh ! vous avez raison, le pâle et maladif Hamlet ne saurait animer la Vénus de Milo ! et en parlant ainsi, il se rejeta éperdu dans l’angle de la voiture.

Peut-être disait-il vrai, mais cette appréciation toute matérielle de l’amour me fit honte sur moi-même. Je sentis une sorte de chaleureux enthousiasme pour cette fière intelligence désolée et saisissant sa tête dans mes mains, je posai sur son front mes lèvres brûlantes. En ce moment j’oubliais ses traits flétris ; ce n’était pas le bouillonnement du sang ni l’élan du désir, c’était l’appel de l’esprit au génie. Lui crut à un tressaillement et à un transport de la chair et il me pressa sur son cœur dans une telle ivresse que j’en perdis comme le sentiment ; excepté Léonce, aucun homme ne m’avait jamais embrassée de la sorte. Prise subitement de vertige, j’eus un instant la sensation que c’était Léonce qui était là ; mais la lune qui reparut éclaira le visage d’Albert.

— Oh ! vous n’êtes pas lui, m’écriais-je en le repoussant, et c’est lui ! lui seul que j’aime !

Il ne chercha pas à me ressaisir, il tomba dans un morne silence qui finit par m’effrayer mais que je n’osai rompre.

Cependant comme nous approchions de chez moi, il me dit d’une voix calme qui me surprit :

— Chère marquise, il est vrai que je ne suis pas le lui idéal que désirent votre cœur et votre imagina-