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de l’esprit, on lui interdit les carrières politiques ; les hautes fonctions de l’État sont accaparées par des vieillards semblables à Duchemin, qui cachent l’immoralité et la sécheresse de cœur sous le pédantisme ; on dirait des spectres préposés à dessécher le cœur et la vie de la France que les élans et les tentatives de la jeunesse auraient peut-être ranimés ! Cherchez donc où elle est cette jeunesse ? Vous la trouverez à la Bourse, chez les filles ou dans les tabagies ! Quant aux hommes de quarante ans qui comme moi ont senti, cru, aimé et souffert, tous, comme moi, se sont arrêtés découragés, car ils n’ont plus d’espérance.

J’étais frappée par la vérité de ces paroles ; mais, désirant le rattacher à quelque illusion glorieuse, je lui répondis :

— Eh bien ! restez artiste, du moins : l’artiste peut s’élever et briller encore au milieu des ruines d’un peuple mort ; c’est la flamme qui domine le cratère quand tout est cendre à l’entour. Écrivez, si vous ne pouvez agir ; écrivez vos doutes, vos angoisses ; écrivez, pour l’art, vos fantaisies de poëte. Ne laissez pas dire que l’instrument est brisé comme les convictions.

— J’essayerai, marquise, me dit-il en souriant et en me baisant la main ; mais remarquez que vous voulez faire de moi un instrumentiste. Encore si vous vouliez m’aimer comme les trois femmes ont aimé leurs pianistes !

— Je vous aime mieux, repris-je ; je vous aime d’une sincère affection, qui survivra à la mort.