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d’avoir le désespoir nous n’avons plus que l’insensibilité ; l’amour même est traité aujourd’hui comme la gloire et la religion : c’est une illusion ancienne ; où donc s’est réfugiée l’âme du monde ? » Regardez autour de vous, marquise, vous chercherez en vain la grandeur ! Républicains, monarchistes, prêtres et philosophes n’ont plus de conviction ; ils arborent un drapeau propre à éblouir, comme la pourpre que le toréador agite dans l’arène ; mais ce drapeau n’est plus gonflé par le souffle des grandes croyances ; tous ces hommes vides de doctrines marchent assoupis poussés seulement par leurs convoitises mesquines ! Est-ce la peine de tenter un effort pour réveiller et diriger ce troupeau ? Je n’ai pas toujours pensé ainsi, j’ai commencé par espérer et croire ! j’ai cru au patriotisme et j’ai fait un chant guerrier contre l’étranger ; j’ai cru à la liberté et j’ai fait un drame sur un Brutus moderne ; j’ai cru à l’amour et j’ai répandu dans mes vers mes transports et mes blessures : tout cela a été jeté au vent par l’indifférence de la foule qui n’a goûté que les sarcasmes de mon esprit. Après être monté sur toutes les hauteurs j’en suis descendu par dégoût. Que m’importe un public nombreux s’il est ignare ? La dilatation de la lumière est aux dépens de son intensité. Il poursuivit : « Le règne bourgeois de Louis-Philippe a fait une nation de bourgeois froids et lourds qui n’entendent plus rien à la poésie et, comme si l’on redoutait un jour son invasion, partout on abâtardit la jeunesse : on la repousse des grands emplois publics, on lui ferme les carrières