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voir, il redoublait alors de douceur et d’expédients d’imagination pour m’amuser quelques heures.

Mon fils avait pris pour lui une très-vive affection, il lui sautait au cou lorsqu’il entrait, il me disait parfois :

— Maman, tu le traites bien durement ; il est si pâle et il a l’air si malade qu’il faut l’aimer ! Pour moi, je l’aime bien mieux que ce grand monsieur brun qui vient ici tous les deux mois et qui ne me regarde seulement pas.

Lorsque j’avais appris que l’arrivée de Léonce serait retardée j’étais tombée dans un tel marasme que, durant plus de huit jours, je refusai obstinément de sortir. Albert me reprochait ce qu’il appelait mes méfiances. N’étais-je pas bien sûre à présent qu’il était un ami ? Il venait presque chaque jour passer une heure ou deux avec moi. Nous faisions des lectures, il me donnait des conseils de style pour mes traductions, m’apprenait à faire des vers et me suppliait de m’y essayer. Quand il voulait partir mon fils le retenait ; il consentait alors à dîner avec nous, il mangeait à peine et ne buvait que de l’eau. Il semblait avoir renoncé à chercher le vertige et l’oubli dans le vin.

J’avais le cœur attendri de cette métamorphose et, m’arrachant à moi-même, je sentais que je devais à ce génie renaissant des paroles d’affection et d’encouragement.

— Voyons, lui dis-je un soir, il faut tenter quelque chose de grand ; vous êtes au moment où votre génie,