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Les femmes surtout sentent l’influence de ce changement rapide des saisons ; passer des glaces de l’hiver à une température tiède, sentir en soi la sève des arbres et des plantes qui poussent et qui fleurissent, c’est, près d’un être aimé, un épanouissement plein d’orgueil et d’ivresse ; mais dans la solitude cette surabondance de l’être se transforme en souffrance et en tortures. Que faire du trop plein de son cœur ? à quoi bon les rougeurs subites qui colorent les joues, et la flamme plus vive qui jaillit du regard ? à quoi bon se sentir plus forts et plus beaux si l’amour manque à l’énergie et à la beauté ?

Léonce m’avait promis d’arriver au printemps, et voilà m’écrivait-il, que la première partie de son grand livre à finir l’enchaînerait encore durant un mois dans la solitude. Je devais le plaindre me disait-il ; mais une abstraction puissante était comme la religion, comme le martyre, il s’y devait tout entier ; puis l’âpre labeur accompli, de même que le dévot a pour récompense le paradis, il savourerait avec bien plus d’intensité la joie immense de l’amour.

Ces lettres me causaient une douloureuse irritation ; cette quiétude réelle ou feinte me semblait une cruauté, j’y voyais parfois la négation de l’amour ; mais alors mon désespoir était si grand que je me rattachai, pour croire encore, aux paroles tendres et parfois passionnées qui me dérobaient le froid et inébranlable parti pris de ce cœur de fer. Il répondait à mes cris de douleur par des cris de passion ; il souffrait plus que moi, me disait-il,