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four formé par des arbres gigantesques et que nous cernâmes comme une place forte, le fusil en joue et nos couteaux de chasse luisant à la ceinture : on sonna l’hallali et les deux victimes furent immolées. Je me souviens que le grand œil d’un des cerfs mourants s’arrêta sur moi, j’en vis jaillir des larmes et j’eus comme un tressaillement sympathique. Ce regard de la pauvre bête me rappela celui d’une jeune femme que j’avais vue mourir ; les hommes qui portaient des torches entourèrent l’enceinte où les deux cerfs étaient tombés sur le flanc : on eût dit des varlets du moyen âge, précédant des chevaliers armés. Le grand veneur procéda au dépècement des pauvres bêtes chaudes encore ; la curée se fit sur l’heure, on lâcha les chiens irrités par la course et l’attente sur ces lambeaux de chair sanglante. Cent langues rouges et acérées se tendirent comme des dards, et happèrent des fragments de vertèbres et d’intestins ; les piqueurs les excitaient de leurs cris ; les fanfares de leurs clameurs, et les fluctuations des torches sur la forêt sombre, faisaient ressembler cette meute affamée à une meute infernale. Quand elle eut humé jusqu’à la dernière goutte de sang, on donna le signal du départ et nous reprîmes notre course effrénée à travers les magiques avenues ; bientôt nous débouchâmes sur la terrasse illuminée où la musique militaire de plusieurs régiments nous salua au passage. Nous étions comme emportés à travers la double magie des sons et des lumières ; nous arrivâmes à la porte du château, là nous mîmes pied à terre et après quel-