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allumer, projetaient sur la route des zones de lumière.

— C’est par une nuit de septembre aussi pure, me dit Albert, que j’ai suivi dans cette forêt une grande chasse aux flambeaux, conduite par le prince qui fut mon ami ; il y avait convié tous ses compagnons d’enfance et de jeunesse ; ceux qui l’avaient aimé au collège et ceux qui l’avaient accompagné à la guerre. Nous étions là une trentaine en habits de chasse et montant des chevaux arabes que le prince nous avait fait distribuer ; la partie de la forêt que nous devions parcourir était illuminée et les piqueurs nous précédaient en portant des torches ; les lointaines avenues s’éclairaient d’une façon fantastique et les arbres centenaires prenaient sous ces lueurs inusitées des postures formidables ; on eût dit d’une forêt enchantée.

L’air retentissait de fanfares joyeuses coupées par intervalles de chœurs du Freyschütz et de Robert le Diable ; les échos prolongeaient indéfiniment ces mélodies ; cette musique nocturne participait de l’immensité de la forêt et de celle du ciel étoilé. Tout à coup on lança deux cerfs qui venaient de bondir dans un taillis et dont les ramures se découpèrent sur le fond de lumière où ils glissaient en courant de toute la vélocité de leurs jambes fines ; les yeux effarés des nobles bêtes, brillaient comme des escarboucles et nous regardaient de côté avec l’expression tendre qu’ont des yeux de femmes ; les cors de chasse sonnaient plus fort et nos chevaux couraient plus vite ; bientôt les deux cerfs furent traqués dans un carre-