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franc étrier et rapportèrent bientôt du château de Saint-Germain des sorbets et des sirops à la glace.

J’ai cru voir tantôt, là, à la même place où vous êtes, marquise, Louise de la Vallière tenant, dans sa main effilée, une petite coupe de cristal remplie d’une glace à la fraise, ses lèvres purpurines humaient avec délices la neige rose et ses yeux disaient au roi : Merci !

Eh ! bien, chère marquise, savez-vous que ce sorbet savouré de la sorte a causé plus tard la mort de l’aimable pécheresse.

— Et comment cela ? lui dis-je.

— Quand elle fut devenue sœur Louise de la Miséricorde, Mlle  de la Vallière, qui portait un cilice et faisait pénitence de son amour, se souvint tout à coup en traversant le cloître par une journée brûlante, de la sensation ineffable de ce sorbet qu’elle avait pris par un jour pareil dans la forêt de Saint-Germain. Elle se demanda comment elle pourrait expier cette sensualité, et s’agenouillant sur une tombe, elle fit vœu de ne plus approcher de ses lèvres une goutte d’eau fraiche ; elle subit héroïquement l’épreuve et la mort s’ensuivit rapidement. Qui ne serait touché de ce dernier trait de la vie de cette grande amoureuse qui devint une sainte ? Plus tard, quand les siècles auront passé sur ce souvenir, il se transformera, n’en doutez pas, en pieuse et touchante légende.

Lorsque Albert eût fini son récit, je me levai, je pris son bras et nous nous élançâmes dans les allées à la poursuite de mon fils.