Page:Colet - Lui, 1880.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 95 —

rêter dans les avenues de la forêt, et nous parcourûmes en tous sens les plus vieilles allées. Les grands arbres où frissonnaient à peine quelques feuilles naissantes, laissaient tomber à travers leurs rameaux la lumière pure du jour. La voiture roulait sans bruit sur le sable ; c’était un mouvement doux et régulier qui berçait ; je ne sais si Albert en sentit l’influence mais il devint tout à coup silencieux. Je jugeai que ses pensées étaient sereines, car son visage restait calme.

— Allez-vous donc vous endormir ? lui dis-je. Pourquoi ne parlez-vous plus ?

— En ce moment, répliqua-t-il, je voyais défiler devant moi une chasse pompeuse de Louis XIV : le jeune roi à la mine hautaine passait entouré des grands seigneurs de sa cour ; les trompes sonnaient, les piqueurs et les meutes s’élançaient au loin, les dames de la maison de la reine en habits de gala suivaient dans des voitures découvertes ; entre toutes m’apparaissait Louise de la Vallière en robe gris pâle relevée par des nœuds de perles comme dans son portrait de la galerie de Versailles ; ses longs cheveux blonds flottaient à l’air et ruisselaient en grappes sur ses joues empourprées par la chaleur. Tenez, nous voici dans un carrefour où la chasse royale fit une halte. Voulez-vous que nous nous y reposions aussi ?

— Oh ! oui, s’écria mon fils, descendons de voiture, je veux voir ce qu’il y a de suspendu à ce grand arbre, courir un peu dans le bois et goûter, si c’est possible, car j’ai grand faim.