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aboyant après notre voiture ; les coqs qui jetaient leur chant clair en gonflant leur crête rouge, étaient pour lui autant de sujets d’exclamation et de plaisir. Nous le laissions à sa joie et restions immobiles, Albert et moi, dans le fond de la calèche.

Albert savait répandre dans sa conversation la merveilleuse variété qu’on trouve dans ses écrits ; d’une pensée profonde et saisissante qui ouvrait les horizons de l’infini, il passait tout à coup à un trait caustique et acéré, rapide comme un de ces javelots antiques dont Homère a décrit la précision ; puis c’étaient des idées mélancoliques et sombres qui noyaient le cœur dans une brume anglaise subitement éclairée par les rayons d’une gaieté d’enfant naïve et folle, raillant, par son entrain la pesanteur de la tristesse et de l’expérience :

— Sentons, rions, goûtons les heures, s’écriait-il alors ; à quoi bon les assombrir en nous ressouvenant !

Avec une intelligence de la trempe de celle d’Albert l’ennui était impossible. Même dans ses jours de trouble et de délire il pouvait contrister le cœur, il ne lassait jamais l’esprit.

La route de Paris à Saint-Germain faite en sa compagnie me parut si courte et si animée que, lorsque je l’ai parcourue depuis en chemin de fer, elle m’a toujours semblé lente et monotone.

La voiture franchit, en allant au pas, la vaste terrasse du château d’où l’on découvre ce superbe panorama trop souvent décrit et admiré, mais dont la beauté est toujours nouvelle au regard. Nous entrâmes sans nous ar-