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respirer l’air et fumer un peu dans votre petit salon.

— Voulez-vous qu’on vous y serve des glaces et du thé ? répondit la marquise.

— J’aimerais mieux manger des huîtres répliqua Antonia, c’est une fantaisie qui me prend.

— Moi aussi, je me sens grand faim, ajouta le philosophe.

— Et moi, dit à son tour le jeune auteur dramatique, je leur tiendrai volontiers compagnie.

Bientôt je les entendis souper dans le petit salon ; ils fumaient en mangeant ; la porte du boudoir restait entr’ouverte, et insensiblement la fumée des cigares, mêlée à l’odeur des mets, y pénétra et le remplit. Sentant ma migraine revenir, je me décidai à partir.

Je ne revis Antonia que huit ans plus tard ; la vieille marquise habitait dans un square un fort bel appartement. Antonia s’était logée auprès d’elle. Un jour que j’arrivais chez la marquise, elle se disposait à faire visite à sa célèbre amie. Elle m’engagea à la suivre, m’assurant qu’Antonia serait charmée de me revoir. Nous trouvâmes la grande sibylle encore au lit, dans une vaste chambre où étaient épars des vêtements d’homme et de femme ; ses enfants jouaient sur le tapis : le pâle pianiste, qui était son amour du moment, était étendu sur une causeuse. Il semblait exténué. Il avait beaucoup toussé toute la nuit, nous dit-elle, et elle n’avait pu dormir. Tout en nous parlant, elle fumait des cigarettes qu’elle tirait d’une petite blague algérienne posée sur la