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noncé à ses habits d’homme ; elle portait ce soir-là une robe de soie grise fort simple. Le corps me sembla trop petit pour la tête, et la taille pas assez mince, toute d’une pièce avec les épaules et les hanches. Je crois que les vêtements d’homme l’avait déformée. Sa main dégantée était d’une forme accomplie, elle l’agitait comme un sceptre naturel et la tendait à ceux des assistants qui étaient de ses amis. La vieille marquise me présenta à Antonia et insista devant elle pour me décider à chanter.

J’avais fait sans prétention un chant sur la mort de Léopold Robert ; encouragée et soutenue par un regard d’Antonia je me décidai à le dire. Ma voix tremblait et mon émotion fut si forte qu’au dernier couplet, je m’évanouis presque. Antonia vint à moi, et me dit en me considérant :

— Madame, vous avez des épaules et des bras de statue grecque.

Ces paroles, prononcées à brûle-pourpoint, avaient quelque chose d’étrange ; on eût dit qu’en faisant un compliment à la femme elle voulait dédaigner l’artiste ; mais comme je n’avais aucune prétention à la célébrité, je n’en fus pas blessée et je lui exprimai avec effusion mon enthousiasme pour son génie.

— Vous en rabattrez quelque jour, me dit-elle, et elle tourna les talons.

Le trouble que j’avais éprouvé en chantant me causa un malaise subit ; ma tête était en feu et mes tempes comme serrées dans un cercle de fer. Je fus contrainte