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comme sur un clavier ; je vous assure qu’elle n’y manqua pas. — Si un lièvre n’a pas autre chose à faire qu’à dormir dans un gîte, un galant homme retenu dans un lit par une blessure chez une femme à la mode n’a d’autre distraction que d’en devenir amoureux. Dans mon oisiveté, je me figurais aimer la princesse beaucoup plus que je ne l’aimais réellement, et quand elle s’approchait de mon lit pour m’offrir un sorbet ou ranger mes couvertures je me sentais tout en flamme. En ce temps-là, elle avait une cour nombreuse, et pour favoris deux hommes fort dissemblables : un personnage politique, grand, digne et froid, et un petit pianiste, joli garçon, sémillant, sûr de lui-même et qu’on eût dit l’épagneul de la princesse. Tous deux étaient tour à tour et fort assidûment auprès d’elle, et moi, le patito du moment, je me voyais condamné par mon entorse à la regarder se promener dans le jardin avec le diplomate, y disparaître et se perdre dans les allées obscures ; ou bien je l’entendais dans le salon roucouler les duos avec le pianiste. Quand je lui faisais quelque jaloux reproche, elle s’intéressait aux affaires de l’Europe, me disait-elle, et voulait se perfectionner dans le chant. Mais comment pouvais-je penser qu’elle me préférât de tels hommes, à moi son cher, son jeune, son beau poëte ! et elle avait, en parlant ainsi, des câlineries si tendres que j’étais disposé à la croire, tant je désirais qu’elle dît vrai. Pourtant, ne vous figurez pas, marquise, que cette femme m’ait jamais causé le moindre attendrissement, c’était plutôt une