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204 LES PAYS LUMINEUX. Caire, la spéculation des fournisseurs égyptiens trahit les intentions du khédive. Rien ne fut prévu pour notre installation à bord et pour l’éventualité que quelques-uns des passagers pouvaient tomber malades. Aucun des bateaux n’était pourvu d’une de ces pharmacies portatives qui se trouvent sur tous les navires ; et, pour suppléer aux sinapismes Rigolot absents, pas même un peu de moutarde autrement qu’à l’état liquide de celle de Dijon qu’on servait à table. Même pénurie de simples, de sirops et de toutes boissons rafraîchissantes et calmantes. En revanche, profusion de vins, de liqueurs, de cognac et de condiments ; prodigalité de salaisons, de pâtes d’Italie rances, de conserves de toutes sortes plus ou moins frelatées : viandes, gibiers, poissons, légumes, foie gras truffé, figuraient chaque jour sur le menu du dîner, qui, à peine sortis des boîtes de fer-blanc qui les contenaient, se liquéfiaient en putrides brouets instantanément. C’était à donner le scorbut ; mais n’anticipons pas.

Ignorant la cause de l’immobilité du Gyzeh dans le port encombré et puant de Boulak, je m’en alarmai tout à coup et voulus me renseigner auprès de mes compagnons de route que j’entendais parler et marcher sur le pont, au-dessus de ma tête. J’essayai de me lever ; mais je retombai sur mon lit comme un bloc inerte. Je m’imposai alors à moi-même l’immobilité du navire, espérant qu’elle amènerait l’apaisement de ma fièvre qui était revenue plus intense que le jour précédent. Je fus pendant plusieurs heures la proie d’une hal