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Moi seul je ne travaillais pas, répétait chaque jour mon père en me brutalisant ; il me semblait pourtant que mon esprit travaillait, mais mes mains se refusaient à faire l’ouvrage qu’on leur donnait.

» Hier, ma mère était allée avec mes sœurs pétrir et faire cuire à la boulangerie les grands pains bis que nous mangeons ; mon père fut appelé au dehors pour son petit commerce.

— Garde au moins la boutique, grand fainéant, me dit-il, et surtout ne touche à rien. »

» Il sortit en me faisant un geste de menace et je me mis sur la porte à regarder les passants. Tout à coup je vis venir un colporteur, il vendait des livres et se rendait à l’église et à l’école pour en faire le placement.

» Approchez, lui dis-je, et laissez-moi seulement regarder un peu vos beaux livres, car, comme dit le proverbe, la vue n’en coûte rien !

— La vue me coûtera mon temps, répliqua le colporteur, je suis pressé et, à moins que tu ne veuilles faire une emplette, je ne déballe pas.

— Déballez, lui dis-je, je puis tout de même vous acheter un livre. Je lançai cette première parole je ne sais comment, et c’est ce qui me perdit, car, une fois dite, je ne voulus pas me démentir de peur que le colporteur ne se moquât de moi. Il entra dans la boutique, défit son ballot en toute hâte, et me montra un volume des saints Évangiles, en latin, qui me plut beaucoup.

— Cela vaut un écu, c’est à prendre ou à laisser, me dit le marchand ; mais je vois que c’est trop cher pour vous, ajouta-t-il d’un air narquois qui me mit le diable au corps.