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triste et honteuse pour moi ; mais je ne vous mentirai pas à vous qui m’avez sauvé la vie.

— J’écoute.

— Je m’appelle Jacques, je suis le fils d’un pauvre mercier de Melun, demeurant dans le quartier de l’église.

— Je suis de Melun et je vois cela d’ici, reprit le gentilhomme, continue.

— J’ai deux sœurs, mes aînées, qui s’occupent avec bon vouloir de l’industrie de mon père, tandis que moi je n’ai jamais pu y prendre goût. J’ai ma mère, dont je suis le préféré, et qui, voyant mon grand amour pour les livres imprimés, a fini par me payer l’école malgré mon père, qui voulait me garder chez lui pour travailler de son état, et m’appelait un grand paresseux quand il me trouvait à lire. Cette inclination pour les livres m’est venue tout petit. Quand j’allais le dimanche à l’église, durant tous les offices je regardais les beaux livres des prêtres et j’aurais voulu les leur dérober. On est comme ça poussé par des instincts qui sont plus forts que nous, et je ne crois pas que ce soit toujours le diable qui nous les donne. J’ai appris à lire bien vite et sans savoir comment, et je lis aussi les psaumes latins et je les comprends un peu. Mais je ne pouvais lire que dans les livres de l’école, je n’avais pas un livre à moi, c’était trop cher. Ma bonne mère me promettait toujours de m’acheter un beau psautier ; mais les mois passaient sans qu’elle eût jamais pu avoir l’argent qu’il fallait. Mon père la surveillait de près et l’empêchait de rien mettre de côté. Il est vrai que nous étions bien pauvres et que le travail de tous suffisait à peine pour nous faire vivre.