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quelques petites peccadilles, et l’avaient ainsi déterminé à embrasser la profession de brigand. Bonne profession, ma foi ! et dont mon oncle n’a pourtant pas à se repentir. Mais il paraît qu’il y a des jours où cela le trouble, et il se met alors dans de grandes fureurs, qui ont toujours pour résultat quelque expédition hardie. Donc il me dit l’an passé : « Va-t’en reconnaître les lieux, et nous agirons dans la nuit. » Je me rends à Florence, habillé comme un honnête paysan, et je demande le couvent des Carmes. « Suivez cette foule, me répond-on en me montrant un grand flot de peuple ; elle se dirige justement vers l’église des Carmes. — Et pourquoi faire ? repris-je. — Vous le verrez bien, mon garçon, » répliqua en riant le citadin narquois. Je me mis à la file de ceux qui marchaient, et bientôt je me trouvai comme porté dans l’église. Tout le monde se précipitait vers une seule chapelle. Je me glissai aux premiers rangs. Alors je vis ce qui attirait la multitude, et je fus près de laisser échapper un cri d’effroi, moi qui n’ai jamais eu peur de ma vie. Sur les murs à demi éclairés de la chapelle, on voyait des hommes torturés ; leurs traits étaient pâles et amaigris ; leurs yeux versaient des larmes de sang ; leurs dents grinçaient ; leurs corps se tordaient, et je croyais leur entendre pousser des gémissements. Cependant la foule criait autour de moi : « Vive Masaccio ! » et, plein d’admiration pour cet homme qui avait la puissance de m’épouvanter, je criai à mon tour : « Vive Masaccio ! » Mais Masaccio, qui était là devant nous, continuait à peindre sans se déranger. C’est lui qui sauva, sans s’en douter, le trésor des Carmes. Je déclarai à mon oncle que je ne traverserais jamais la nuit cette église où il m’avait sem-