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baisée. Mais le petit Joachim préférait la lecture d’une traduction allemande d’Homère qui avait été son prix d’honneur. Insensiblement le pauvre savetier prit intérêt à ces héroïques récits qui passionnaient son fils. À chaque chant, l’enfant s’arrêtait pour peindre sa surprise et son ravissement : quel monde ! quel pays ! quel ciel ! quels paysages ! quelle beauté devaient avoir ces dieux et ces héros ! Un jour il ajouta :

» Mais il manque quelque chose à ce livre !

— Eh quoi donc ? demanda le père.

[Illustration : Le père reprenait son ouvrage et l’enfant lui faisait la lecture]

— Il lui manque de belles images qui fassent vivre à nos yeux ces dieux et ces déesses dont Homère chante la beauté. Oh ! mon père, si nous étions riches, nous achèterions Jupiter, Junon, Mars et Vénus, Vénus surtout, que je vois toujours entourée d’une vapeur rose et se baignant dans la mer Égée ! »

Le pauvre savetier écoutait son fils sans bien le comprendre, mais ce qu’il comprenait par le cœur, c’est que son fils avait des désirs que sa pauvreté l’empêchait de satisfaire, et il en souffrait chaque jour de plus en plus. Il sentait ses infirmités s’accroître, et il se disait qu’avec elles la misère augmenterait dans la pauvre échoppe. Pour ne pas attrister son fils il dissimulait sa détresse, mais quand il était seul dans la journée, de grosses larmes roulaient parfois sur ses joues amaigries. Or rien n’est déchirant comme les larmes d’un homme, et surtout d’un vieillard ; il lui faut une grande angoisse, il faut qu’il souffre bien amèrement pour que sa douleur se traduise de la sorte. Le pauvre père n’avait pas d’autre joie dans sa vie de peine que de voir sourire son enfant quand il rentrait le soir de l’école ; aussi s’ingéniait-il