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régime pythagorique ; c’est l’aventure suivante qui l’y décida : il allait quelquefois à la pêche pour son père ou son frère ; il leur rapportait son butin, mais jamais il n’y goûtait. Un jour, on lui fit remarquer dans le ventre d’un des poissons qu’il avait pêchés, un autre tout petit poisson : » Oh ! oh ! dit-il, puisque vous vous mangez entre vous, je ne vois pas pourquoi nous nous passerions de vous manger. »

Boston, qui est devenue la ville la plus lettrée des États-Unis, l’était déjà à cette époque ; il y paraissait plusieurs journaux ; le frère de Benjamin en publiait un qui s’appelait le Courrier de la nouvelle Angleterre. La rédaction en était faible, et le jeune rêveur sentait bien qu’il serait désormais capable de faire de meilleurs articles que ceux qu’on vantait autour de lui. Mais il redoutait les moqueries de son frère, esprit médiocre et envieux, et il savait bien que s’il lui présentait des pages signées de son nom pour le journal, elles seraient refusées ; il rêva longtemps comment il pourrait lui faire parvenir incognito des articles sur la politique et les sciences ; enfin il se décida à contrefaire son écriture, et à glisser le soir, sous la porte fermée de l’imprimerie, ces pages destinées au Courrier de la nouvelle Angleterre. Tous les articles qu’il fit ainsi parvenir successivement à son frère furent imprimés dans le journal, et bientôt on ne parla plus que du publiciste anonyme qui l’emportait sur tous les publicistes connus.

Enhardi par le succès, Benjamin se fit connaître ; chacun le combla d’éloges, excepté son frère, dont la jalousie redoubla. La vanité de celui-ci souffrait de son infériorité et ne pouvait être vaincue que par son intérêt ; c’est