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incapable de l’exprimer, et de ne jamais faire même une de tes chansons d’aveugles.

— Dois-je donc, continua l’enfant pensif, renoncer aux occupations de l’esprit, pour lesquelles il me semblait que j’étais né ?…

[Illustration : Que c’est mauvais, que c’est plat !]

— Eh ! non, non, répliqua le père ; mais il faut t’exercer à écrire en prose sur divers sujets, et bien connaître ta vocation avant de te livrer au public ; peut-être seras-tu un philosophe moraliste, un publiciste de journaux, ou peut-être un orateur ; mais ne te hâte pas, par vanité, de faire parler de toi, attends que le bruit vienne te chercher ; crois-moi, la fortune et la gloire durables n’arrivent que lentement. »

Benjamin qui, ainsi que tous les êtres destinés à devenir grands, n’avait aucune présomption, reçut cette leçon de son père et s’y soumit ; elle se grava même si profondément dans son âme, qu’elle sembla diriger toutes les actions de sa vie. Suivant le conseil de son père, il s’exerça à écrire sur tous les sujets : il prit pour modèle les meilleurs auteurs anglais de la mère patrie ; il lut le Spectateur d’Addison (ce premier modèle des revues anglaises), et se mit à composer des articles de journaux ; l’idée de les faire paraître ne lui vint pas encore, mais elle devait lui être suggérée bientôt.

Il ne rêvait qu’au moyen de perfectionner et d’agrandir son esprit ; ayant lu dans un livre qu’une nourriture végétale maintenait le corps sain, et les facultés de l’esprit toujours actives, il ne se nourrit plus que de riz, de pommes de terre, de pain, de raisin sec et d’eau. Cette nourriture frugale lui donnait le moyen d’économiser pour acheter plus de livres ; il finit par renoncer à son