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de vieux airs ; il les écrivait avec soin, et ne les chantait que lorsqu’il était content de leur forme. C’est ainsi qu’il fit deux ballades sur des aventures de marins ; il les chanta à quelques vieux matelots, ses amis de la mer ; ils en furent enchantés, les répétèrent en chœur, et leur assurèrent une sorte de succès populaire. Le frère de Benjamin, sachant qu’il y trouverait son profit, imprima les deux ballades et envoya l’enfant les vendre le soir par la ville. Benjamin, vêtu de sa jaquette d’atelier, poussait en avant une petite brouette toute chargée des feuillets humides, et attirait l’attention des passants sur ses ballades qu’il fredonnait. Il en vendit énormément dans les rues, sur les places publiques, et principalement sur le port, où chaque matelot et chaque mousse voulurent avoir les chansons de leur petit ami. Il rapportait religieusement à son frère tout l’argent de cette vente. Quant à lui, il se contentait de l’espèce de gloire qu’il pensait en recueillir.

[Illustration : Il les chanta à quelques vieux matelots]

Son père, qui était un homme de bon sens, doué de facultés naturelles très-élevées, interposa son autorité entre l’âpreté du frère et la vanité naissante du petit poëte ; il ne voulut pas que Benjamin continuât cette vente publique, et lui déclara très-nettement que ses vers étaient mauvais. L’honnête ouvrier possédait ce que nous avons plusieurs fois constaté dans des natures à demi incultes, un instinct très-sûr pour juger des beautés de l’art et de la poésie ; il les sentait plus qu’il ne les analysait, mais son sentiment suffisait pour lui inspirer une sorte de critique toujours juste ; entendait-il de la musique ou lisait-il des vers, il goûtait les passages les plus beaux aussi bien que l’eût fait un artiste de profession.