L’enfant qui chaque soir se jetait à la nage d’une plage voisine, ou essayait de s’emparer de quelque barque abandonnée pour s’exercer à la conduire lui-même, cet enfant était vêtu du simple habit de cotonnade des petits artisans ; mais sa taille bien prise, son visage expressif, son œil bleu et interrogateur faisaient qu’on ne pouvait le voir passer sans le remarquer, aussi fut-il bientôt connu de tous les habitués du port. Pas un vieux marin qui n’aimât le petit Benjamin, et qui ne le hêlât par son nom, tandis qu’il se glissait comme un poisson à travers le labyrinthe des barques. Gagner le large, nager en pleine mer ou y conduire une barque dans laquelle il s’était jeté sans être vu (mais qu’il ramenait toujours religieusement à la place où il l’avait prise), tel était l’exercice passionné auquel se livrait chaque jour l’enfant robuste, à la mine intelligente. Aussitôt qu’il se voyait seul entre le ciel et l’eau, il s’abandonnait à une sorte de joie bruyante, qui se traduisait tantôt par des aspirations prolongées de l’air pur, aux bonnes senteurs maritimes et par des gestes saccadés dans lesquels il semblait se détendre et s’allonger ; tantôt par le chant vif d’un air populaire, auquel il associait des paroles improvisées sur la nature et sur la liberté. Parfois il gagnait un récif, moitié dans la barque et moitié en nageant ; il grimpait jusqu’à la plus haute pointe du roc qui sortait du milieu des flots, il y mettait ses habits sécher au vent de l’Océan ; et, s’asseyant nu et pensif, il contemplait l’horizon immense : devant lui le rivage, le port, Boston, la campagne américaine, derrière lui, l’étendue incommensurable des vagues enlacées.
[Illustration : Et par des gestes saccadés dans lesquels il semblait se détendre et s’allonger.]
Ce qui faisait un plaisir si vif du mouvement de la mer et du contact de la nature pour le petit Benjamin, c’était le contraste que ces heures libres du soir formaient avec l’esclavage qui lui était imposé tout le jour. Le pauvre enfant devait dès son lever, travailler à un métier qui lui répugnait extrêmement. Son père était fabricant de chandelles, et le petit Benjamin avait pour besogne spéciale de remuer les graisses dans les chaudières et de les faire couler dans les moules autour des mèches. L’enfant, doué de sens délicats et d’une belle imagination, ne s’était soumis qu’avec une grande répugnance à cette occupation à laquelle son père l’obligeait depuis un an ; envoyé à l’école de cinq à huit ans, il y avait appris avec une rare facilité à lire et à écrire ; il aimait les livres avec passion, et lisait à la dérobée ceux dont son père, ouvrier intelligent,