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cela, ne le répète pas, n’y pensons plus ; pense à ta bonne tante que nous allons retrouver dans notre joli cottage de Benfield : elle a tout préparé pour te recevoir ; elle a mis dans ta chambre les livres que tu aimes, elle a ajouté des oiseaux nouvellement arrivés des Indes à ta volière ; puis vois comme la nature est belle, poursuivait la mère, qui avait levé les stores de la voiture, et montrait du geste à l’enfant les longs arceaux de verdure sous lesquels la voiture roulait toujours ; nous allons trouver notre parterre en fleurs, notre troupeau paissant sur les pentes des gazons verts. Nos belles vaches familières viendront manger le pain que leur tendra ta main. Allons, souris, mon cher petit poëte, et oublie les méchants !

— Vous avez raison, ma bonne mère, répliqua l’enfant d’un air grave ; je veux aussi m’oublier moi-même ; c’est-à-dire ce corps défectueux qui fait rire quand je passe ; je ne veux songer qu’aux facultés de mon âme, les développer, les accroître ; je veux enfin qu’un jour les œuvres de mon esprit me placent bien au-dessus de ceux qui me raillent. Dès demain, mon père, nous commencerons de fortes études.

— Oui, mon fils, reprit le gentilhomme, j’ai prévenu notre bon et savant voisin, le curé Deann, et, de concert, nous t’apprendrons à fond le grec et le latin.

— Oui, oui, afin que je puisse lire tous les poëtes de l’antiquité, et devenir un poëte moi-même, répondit l’enfant, qui avait repris toute sa sérénité. Voyez, s’écria-t-il, en se penchant à la portière, ce daim effaré qui court à notre approche avec tant de vitesse, il s’est précipité dans ces fourrés de verdure et il a disparu.

— Voilà un sujet d’églogue, dit le père, nous conviendrons ainsi de petits thèmes sur lesquels tu t’exerceras à faire des vers.

— Oh ! quelle heureuse idée, dit l’enfant en sautant au cou de son père. »

Cependant la voiture approchait du cottage, et bientôt elle entra dans une grande allée d’ormes, au bout de laquelle on apercevait la blanche maison. Miss Lydia, la bonne tante du petit Alexandre et sœur de son père, attendait debout sur le seuil de la porte : c’était une excellente fille de quarante ans, qui n’avait jamais voulu se marier pour prendre soin de son cher neveu. Un grand chapeau de paille rond se rabattait sur son placide visage, et une robe d’indienne lilas très-propre et très-fine, dessinait sa taille un peu forte. Aussitôt qu’elle entendit le bruit des roues, elle retrouva ses jambes de vingt ans pour courir dans l’avenue, et la voiture s’étant arrêtée, elle prit l’enfant dans ses bras