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[5]Ce que le roi me dit le 29 janvier 1649, la dernière fois que j’ai eu le bonheur de le voir :

» Le roi me dit qu’il était heureux que je fusse venue, car, quoiqu’il n’eût pas le temps de me dire beaucoup de choses, il désirait me parler de ce qu’il ne pouvait confier qu’à moi : il avait craint, ajouta-t-il, que la cruauté de ses gardiens ne le privât de cette dernière douceur. » Mais peut-être, mon cher cœur, poursuivit-il, tu oublieras ce que je vais te dire ; » et il versa alors d’abondantes larmes. Je l’assurai que j’écrirais toutes ses paroles. » Mon enfant, reprit-il, je ne veux pas que vous vous désoliez pour moi ; ma mort est glorieuse, je meurs pour les lois et la religion. » Il me nomma ensuite les livres que je devais lire contre la papauté[6] ; il m’assura qu’il pardonnait à ses ennemis et qu’il désirait que Dieu lui pardonnât. Il nous recommanda de leur pardonner nous-mêmes ; il me répéta plusieurs fois de dire à ma mère que sa pensée ne s’était jamais éloignée d’elle, et que son amour serait le même jusqu’à la fin. Il nous ordonna, à mon frère et à moi, de lui obéir et de l’aimer ; et, comme nous pleurions, il nous dit encore qu’il ne fallait pas nous affliger pour lui, qu’il mourait en martyr, certain que le trône serait rendu un jour à son fils, et que nous serions alors tous plus heureux que s’il eût vécu. Il prit ensuite mon frère Glocester sur ses genoux ; et lui dit : » Mon cher cœur, on va bientôt couper la tête de ton père ! » L’enfant le regarda attentivement : » Écoute-moi bien, reprit le roi, on va couper la tête de ton père et peut-être voudra-t-on après te faire roi ; mais n’oublie jamais ce que je te dis, tu ne dois pas être roi tant que ton frère Charles et ton frère Jacques vivront. C’est pourquoi je t’ordonne de ne pas te laisser faire roi. »

[Note 5 : Ce document est parfaitement authentique, je l’ai traduit de l’anglais d’une notice historique sur la princesse Élisabeth, par le P. Cyprien Gamache, confesseur de la princesse Henriette. Je dois la communication de ce document très-rare à l’obligeance de M. Marochetti.]

[Note 6 : Ceci prouve une fois de plus un point bien acquis à l’histoire, c’est que le roi Charles I er, comme son père Jacques Ier, resta jusqu’à la fin un fidèle protestant ; il était de l’Église anglicane et ennemi prononcé de la papauté. Ce fut même là un sujet de dissentiment très-vif entre lui et la reine Henriette de France, fille de Henri IV. Il avait été convenu dans leur contrat de mariage que la reine aurait une chapelle catholique desservie par douze prêtres. Les enfants mâles qui pourraient naître de leur union devaient être protestants et les filles catholiques ; cependant la chapelle de la reine finit par être supprimée et le roi fit une protestante fervente de la princesse Élisabeth, cette enfant de sa prédilection. Au moment de mourir, il lui parle encore des livres qu’elle doit lire contre la papauté. Il est vrai que ce n’était pas assez pour les presbytériens d’Écosse et les saints de Cromwell.]

[Illustration : Elle la vit étendue et calme.]