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Mon père et le Renard ordonnèrent au pilote de virer de bord sur le plus proche vaisseau de l’ennemi. C’était un petit navire moins fort que notre brigantin ; nous lui donnâmes deux bordées dans la quille, et il fut coulé. Alors les deux grosses frégates anglaises firent sur notre pauvre Arondelle-de-Mer un feu si formidable, que la moitié de notre monde resta tué ou blessé. Mais aussi, mon fils, quelle gloire ! quelle défense ! seuls contre trois vaisseaux ! seuls nous en avions détruit un, et les deux autres nous approchaient à peine, tant nous combattions avec rage et furie aux cris de Vive le roi ! Nous brandissions nos piques, nous appelions les Anglais à grands cris : Abordez ! abordez donc ! »

Ici le pâle visage de Cornille Bart se colora tout à coup, sa voix s’altéra, et il s’appuya contre le mur tout chancelant. » Seigneur Dieu ! s’écria sa femme accourant, vous vous faites du mal en vous animant ainsi.

— Laissez-moi, laissez-moi, et silence, écoutez ! répliqua brusquement le conteur, tout à l’action de son souvenir. Les Anglais, défiés par nous, abordent de chaque côté du brigantin : ce fut une joyeuse et sanglante mêlée. Hache en main, coutelas au poing, on s’attaqua homme à homme. Les deux frégates avaient de quoi remplacer ceux qui tombaient, tandis qu’il ne restait plus des nôtres qu’un petit nombre debout, et encore étaient-ils tout saignants. Mon père avait reçu trois coups de pique, le Renard une arquebusade dans le corps. Le pont se couvrait de morts et d’agonisants, le canon ennemi éventrait notre brigantin. Le Renard s’approcha de mon père et lui dit sourdement : »