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Des corps de vos meurtriers, pourquoi, disent les eaux,

Changeâtes-vous en sang l’argent de nos ruisseaux ?

Pourquoi nous avez-vous, disent les arbres, faits

D’arbres délicieux exécrables gibets ?

Le seigneur d’Aubigné, prenant une part active à ces guerres funestes, dut laisser son fils à Paris, sous la direction de son excellent maître Béroalde. Le précepteur et l’élève vivaient retirés, s’occupant à traduire Platon et les écritures saintes ; mais un jour, Béroalde fut averti qu’il était accusé d’hérésie, et qu’ils n’avaient, lui et son élève, d’autre parti à prendre que de se dérober par la fuite à la persécution.

» Non pas ! s’écria le petit Agrippa ; attendons ici, je brûle de tirer l’épée contre ceux qui viendront. »

Maître Béroalde n’écouta pas son élève, mais la prudence. Sur l’heure même on fit équiper des chevaux et l’on prit la fuite. Agrippa noua à sa ceinture une gentille épée à fourreau d’argent que lui avait donnée son père ; il lui semblait qu’ainsi armé il était hors de tout danger. La petite bande, maîtres et domestiques, se mit en route ; mais, arrivée au bourg de Courances (Seine-et-Oise), elle fut arrêtée et conduite en face d’un bûcher allumé pour brûler les huguenots. On dépouilla le petit Agrippa de sa jolie épée : il se débattait et pleurait de rage. On le pressa d’abjurer sa religion, et on fit la même sommation à son maître et à leurs serviteurs. Agrippa, qui avait alors dix ans, répondit bravement : » Jamais ! jamais ! » Et voyant que son précepteur et ses compagnons de fuite étaient tristes, il se mit, pour les amuser, à danser la gaillarde ; il tournait et gambadait