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place. Toute ma fortune se montait donc à 83 napoléons qui me sauvèrent la vie.

À Smorghoni, l’Empereur fit ses adieux, avant de quitter l’armée, à ceux des chefs qu’il put réunir autour de lui. Il partit à sept heures du soir, accompagné des généraux Duroc, Mouton et Caulaincourt. Nous restâmes sous le commandement du roi de Naples, assez déconcertés, car c’est le premier soldat pour donner un coup de sabre ou braver les dangers ; mais on peut lui reprocher d’être le bourreau de notre cavalerie ; il traînait des divisions toutes bridées sur les routes, toujours à sa disposition, et il en avait toujours de trop pour faire fuir les cosaques. Mais toute cette cavalerie mourait de besoin, et le soir ces malheureux ne pouvaient plus se servir de leurs chevaux pour aller au fourrage. Pour lui, le roi de Naples avait 20 à 30 chevaux de relais, et tous les matins il partait avec un cheval frais ; aussi c’était le plus beau cavalier d’Europe, mais sans prévoyance, car il ne s’agit pas d’être un intrépide soldat, il faut ménager ses ressources ; et il nous perdit (je l’ai entendu dire au maréchal Davoust) 40,000 chevaux de sa faute. De blâmer ses chefs on a toujours tort, mais l’Empereur pouvait faire un meilleur choix. Il se trouvait à notre tête deux guerriers rivaux de gloire, le maréchal Ney et le prince de Beauharnais, qui nous sauvèrent des plus grands périls par leur sang-froid et leur courage.