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nait après leurs mains par la force de la gelée (il y avait 28 degrés au-dessous de zéro). Mais la garde ne quitta son sac et son fusil qu’avec la vie. Pour vivre, il fallait avoir recours aux chevaux qui tombaient sur la glace ; les soldats avec leurs couteaux fendaient la cuisse pour en prendre des grillades qu’ils faisaient rôtir sur des charbons quand ils trouvaient du feu, sinon ils les dévoraient toutes crues ; ils s’étaient repus du cheval avant qu’il mourût. J’usais aussi de cette nourriture, tant que les chevaux purent durer. Jusqu’à Vilna, nous faisions de petites journées avec l’Empereur ; tout son état-major marchait sur les côtés de la route. Dans l’armée, toute démoralisée, on marchait comme des prisonniers, sans armes et sans sacs. Plus de discipline, plus d’humanité les uns pour les autres ! Chacun marchait pour son compte ; le sentiment de l’humanité était éteint chez tous les hommes ; on n’aurait pas tendu la main à son père, et cela se conçoit. Celui qui se serait baissé pour prêter secours à son semblable, n’aurait pu se relever. Il fallait marcher droit et faire des grimaces pour empêcher que le nez et les oreilles ne se gelassent. Toute sensibilité et humanité était éteinte chez les hommes ; personne même ne murmurait contre l’adversité. Les hommes tombaient raides sur la route. Si par hasard on trouvait un bivac de malheureux qui se dégelaient, sans pitié les arrivants les jetaient de