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tion on voyait ces malheureux se précipiter vers les ponts, les voitures se renverser et tous s’engloutir dans les glaces. Non, personne ne peut se faire une idée d’un pareil tableau. Les ponts furent brûlés le lendemain à huit heures et demie.

Aussitôt la revue des prisonniers, l’Empereur me fit appeler : « Pars de suite, porte ces ordres sur la route de Vilna ; voilà un guide sûr qui te conduira. Fais tous tes efforts pour arriver demain au petit jour. » Il fit interroger mon guide, récompense lui fut donnée devant moi et on nous donna à chacun un bon cheval russe. Je partis sur une belle route blanche de neige, mais ce n’était que peu de chose encore, nos chevaux ne glissaient pas. Arrivés dans un bois à la nuit, pour plus de sûreté, je passai une forte ficelle autour du cou de mon guide, de crainte qu’il s’échappât. Il me dit : Bac, tac. Cela veut dire : C’est bon. Enfin j’eus le bonheur d’arriver sans aucune mauvaise rencontre. Je mis pied à terre, et mon guide me fit connaître au maire qui fit conduire nos chevaux dans la grange. Je lui remis mes dépêches, il présenta un verre de schnapps et il en but le premier : « Buvez ! » me dit-il en français. Il décachette mon paquet et me dit : « Il n’est pas possible que je fasse apprêter les immenses quantités de rations que votre souverain me demande à trois lieues d’ici. C’est bien dans mon diocèse, mais il faudrait un