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LES CAHIERS

levé et prêt à partir. Le 6, à trois heures du matin, on partit pour rejoindre l’armée. Arrivés le même jour, on nous mit de suite à notre rang de bataille avec notre artillerie. Nous étions près d’Eylau ; on nous fit prendre à droite et remonter pour rejoindre les Russes, dans la belle plaine de Friedland, au passage d’une rivière. Ils nous attendaient dans une belle position ; beaucoup de redoutes sur des hauteurs, avec des ponts derrière eux. Le brave maréchal Lannes arriva de Varsovie, fort mécontent des Polonais. Dans une discussion avec l’Empereur devant le front des grenadiers, nous entendîmes qu’il lui disait : « Le sang d’un Français vaut mieux que toute la Pologne. » L’Empereur lui répondit : « Si tu n’es pas content, va-t’en ! — Non ! lui répondit Lannes, tu as besoin de moi. »

Il n’y avait que ce grand guerrier qui tutoyait l’Empereur. Lui serrant la main, celui-ci dit : « Pars de suite avec les grenadiers Oudinot, ton corps et la cavalerie. Marche sur Friedland ; je t’envoie le maréchal Ney. »

Ces deux grands guerriers se trouvèrent contre des forces plus que doubles des leurs ; ils souffrirent jusqu’à midi. Les grenadiers, les voltigeurs et la cavalerie purent contenir l’ennemi jusqu’à notre arrivée ; mais il était temps. L’Empereur passa au galop devant toutes les troupes qui allaient au pas de course ; il traversait un bois où les blessés d’Oudinot passaient.