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pris son pot-au-feu. — Ça n’est pas possible. — C’est la vérité. »

Les grenadiers et les chasseurs à cheval partirent à la maraude pour tâcher d’avoir des vivres pour demain ; ils arrivèrent le soir avec des pommes de terre et l’on fut à la distribution. Faite par ordinaire, elle donna vingt pommes pour dix-huit hommes. C’était pitié, pour chacun une pomme de terre. Le colonel et mon petit capitaine Renard furent bien chauffés, et mangèrent chacun un rognon ; tout fut partagé en famille. Le colonel me prit à l’écart et me demanda si je savais lire et écrire : « Non, lui répondis-je. — Que c’est fâcheux ! je vous aurais fait passer caporal. — Je vous remercie. »

L’Empereur fit appeler le comte Dorsenne et lui dit : « Tu vas partir avec ma garde à pied et rentrer à Varsovie, voilà la carte. Il ne faut pas suivre la même route, tu perdrais mes vieux grognards. Tu me feras ton rapport des manquants. Vois ta route pour rentrer à Varsovie. »

Nous partîmes le lendemain par des chemins de traverse, toujours d’un bois à l’autre. Nous arrivâmes à trois lieues de Varsovie dans un état de misère la plus complète, les yeux caves et les joues enfoncées, la barbe pas faite. Nous ressemblions à des cadavres sortant du tombeau. Le général Dorsenne nous fit former le cercle autour de lui et nous fit des reproches sévères, disant que l’Empereur était mécontent de ne