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LES CAHIERS

taient dans la boue détrempée. Parfois, il fallait prendre la jambe de derrière pour l’arracher comme une carotte, et la porter en avant, puis aller rechercher l’autre avec ses deux mains et la rejeter aussi en avant, avec nos fusils en bandoulière pour pouvoir nous servir de nos mains. Et toujours la même manœuvre pendant deux jours.

Le découragement commençait à se faire sentir dans les rangs des vieux soldats ; il y en eut qui se suicidèrent dans le transport des souffrances. Nous en perdîmes bien soixante dans le trajet de deux jours pour arriver à Pultusk, un mauvais village couvert en paille. La chaumière que l’Empereur habitait ne valait pas mille francs. C’était là le but de notre misère, il ne fut pas possible d’aller plus loin.

Nous campâmes sur le front de ce pauvre village que l’on nomme Pultusk. Pour établir notre bivouac, nous fûmes chercher de la paille pour mettre sous nos pieds. N’en trouvant pas, nous prîmes des gerbes de blé pour pouvoir nous maintenir sur terre, et les granges furent pillées. Je fis plusieurs voyages, je rapportais une auge que les grenadiers à cheval n’avaient pu enlever ; ils me la chargèrent sur le dos, et j’arrive à mon bivouac en faisant trembler mes camarades qui étaient des colosses auprès de moi. Mais Dieu m’avait donné des jambes fines comme celles d’un cheval arabe. Je retourne encore au vil-