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LES CAHIERS

commencer la campagne et que ses troupes furent pourvues de vivres, il passa de grandes revues ; la dernière eut lieu par un froid des plus rigoureux. Il arrive pendant la revue un bel équipage ; un petit homme descend de voiture, et se présente à l’Empereur devant la garde, il avait cent dix-sept ans, et il marchait comme à soixante. L’Empereur voulut lui donner le bras. « Je vous remercie, Sire », dit-il. C’était, à ce qu’il paraît, le doyen de la Pologne[1].

Les gelées étant arrivées au point où on le désirait, on fit faire la distribution de biscuits pour quatorze jours. J’achetai du jambon pour vingt francs, et je n’en avais pas une livre ; personne ne pouvait rien avoir pour de l’argent.

Nous entrâmes par un temps des plus rigoureux, en décembre, dans un pays tout désert, couvert de bois, avec des routes de sable. On ne trouva personne dans ces malheureux villages ; les Russes nous faisaient place et nous trouvions leurs bivouacs déserts. On nous fit marcher la nuit, et nous arrivâmes près d’un château à minuit. Ne sachant pas où nous étions, nous posâmes nos sacs sous des noisetiers dans un bivouac abandonné par les Russes. En posant mon sac, je sens une petite hauteur, je tâte dans la paille. Dieu, quelle joie pour moi ! deux pains

  1. Nous avons cherché la confirmation de ce fait singulier. Le bonhomme s’appelait Naroçki et prétendait en effet être né en 1690. Mais son grand âge n’était invoqué que pour obtenir une pension.