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— Je voudrais bien, dit le plus fanfaron de la troupe, s’adressant au garçon, et après nous avoir toisés de l’œil quelques instants, je voudrais bien que tu nous servisses un grand bol de punch, mais je tiens à le boire dans un vase où jamais Français n’ait trempé les lèvres.

Le rouge nous monta au visage à tous. Le colonel des grenadiers à cheval, qui était avec nous, sort précipitamment sans rien dire. Il revient bientôt avec un pot de nuit à la main et va hardiment le poser sur la table occupée par les Russes. Puis versant leur punch dans ce bol improvisé :

— Vous voilà servis à souhait, dit-il ; jamais Français n’a bu là dedans ; mais, vous, vous y boirez, ou bien nous verrons.

Révoltés à la vue du vase et de l’audacieuse proposition du colonel, les Russes se lèvent tous, tirent leurs sabres et s’avancent sur nous. Mais, nous, rangés dans un coin, nous nous armons de tabourets, et il leur fallut capituler.

Cette querelle ne pouvait être vidée que par les armes, et on partit pour le bois de Boulogne. L’affaire ne dura pas longtemps et, sur dix-huit qu’ils étaient, nous laissâmes douze russes sur le carreau. Les six autres craignant le sort de leurs camarades se mirent à nos genoux en nous suppliant de les épargner. Nous leur fîmes grâce de la vie, mais ils payèrent le punch.

Cette vie dura une bonne quinzaine, et il ne se passait guère de jours sans que l’on en descendit quel-